Depuis quelques jours, certains médias en ligne s’affolent, et surtout inquiètent les lecteurs, utilisateurs de camping-car. Un article mis en ligne le 27 janvier sur un site automobile, et repris le 30 janvier par un autre site spécialisé dans le camping-car, annonce qu’il serait dans les projets de la Commission européenne de supprimer la mention 79 sur la catégorie B du permis de conduire. Article fort documenté sur les raisons de « l’exception française » avec cours d’histoire pour tout le monde, en faisant remonter l’augmentation du PTAC à l’attentat du Petit-Clamart (1962) et les chauffeurs du général de Gaulle qui ne pouvaient conduire les véhicules blindés de l’Élysée avec leur seul permis B…
N'étant pas historiens, nous ne contesterons pas cette explication. Mais nous connaissons la capacité de l’État à déroger aux règles communes, y compris encore aujourd’hui avec, par exemple, le droit qu’ont certains agents (pompiers, sécurité civile, armée) de conduire un véhicule dont le PTAC excède 3,5 tonnes sans dépasser 4,5 tonnes. Amusant, mais peu vraisemblable…
Nous ne sommes pas historiens, mais nous avons quelques connaissances sur le sujet
En premier lieu, il faut savoir que ce code « 79 » ne concerne pas que la catégorie B et la France. Ce fameux code 79 a été institué pour permettre et garantir les droits antérieurement acquis au fur et à mesure que la définition des catégories de permis de conduire évoluait. Ainsi, il existe un code 79 pour le permis A1 (parce que la définition a évolué, passant d’une valeur en cm3 à une puissance en kW), pour le permis B (nous y reviendrons), pour le permis BE (parce que le PTAC maximum de la remorque pouvant être tractée a changé) et pour le permis CE . Les autres pays de l’Union européenne ont également fait évoluer la définition de leurs catégories de permis de conduire au cours du temps et utilisent le même code.
Le code 79 n’est donc pas une faveur, ni un passe-droit qui aurait été accordé par la France pour des raisons sulfureuses, ou pire, sans raison.
D’abord, rappelons un principe de droit
Un règlement, une loi ou une directive ne peuvent pas priver les personnes des droits antérieurement acquis. C’est sur ce motif que la France a été contrainte par la Commission européenne lors de la mise en place de la directive sur le permis de conduire en vigueur actuellement.
Ainsi, le point 5 des considérants de la directive (page 1) définit clairement que « la présente directive ne devrait pas porter atteinte aux droits de conduire existants ou obtenus avant sa date d'application », disposition rappelée par ailleurs dans l’article 13 de la même directive.
La France, qui définissait la catégorie B du permis de conduire sans référence à un PTAC maximum, mais uniquement en référence à un nombre de places assises jusqu’au 20 janvier 1975, a donc tiré les conséquences en accordant le droit de conduire un véhicule affecté au transport de personnes de moins de 8 places assises, non comprise celle du conducteur, sans limitation de tonnage. À noter, pour être complet, que cette définition ne concerne pas les permis de conduire délivrés dans les Territoires d’Outre-Mer qui, eux, mentionnaient une limitation de tonnage… Afin de prévenir les abus et le risque d’un transport « annexe » de marchandises diverses, la précision a été introduite dans le Code de la route que cette exception ne concernait que la conduite des motorhomes ou autocaravanes (véhicules du genre « VASP » sur le certificat d’immatriculation).
Ce long préambule énoncé, y a-t-il un risque de voir disparaître « cette invraisemblable exception » ?
Tout est toujours possible, y compris l’extinction de toute vie sur Terre, en raison de la chute d’un astéroïde. Mais en droit, à moins d’un retournement complet de la doctrine, cela semble impossible. En tout cas, pas de la part de la Commission européenne, qui, rappelons-le, laisse une large faculté d’adaptation de ses directives en droit national.
Cela semble également plus que difficile de la part de l’État français, qui sera confronté très rapidement à des recours devant diverses juridictions qui ne pourront que respecter la règle de non-rétroactivité, énoncée à l'article 2 du Code civil en ces termes :
La loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif
Ainsi posée, cette règle suppose qu'une loi nouvelle ne peut régir que les situations juridiques postérieures à son entrée en vigueur.
Dès lors, beaucoup de bruit pour rien... ?
Nous ne pouvons que constater que ces deux articles s’appuient essentiellement sur des conjectures, ne sont absolument pas sourcés, même pas d’un lacunaire « selon des sources proches du dossier », et ne s’appuient sur aucune information venant de la Commission européenne ou du ministère de l’Intérieur.
N’en demeure pas moins que d’un point de vue « sécurité », on peut légitimement s’inquiéter de voir conduire sans vérification de l’aptitude médicale ou des compétences des grosses unités sans formation. Dans les faits, l’utilisation de ce droit ne concerne qu’un nombre de personnes très limité, sur des unités de taille modeste le plus souvent (camping-cars d’un PTAC proche de 5 tonnes). Pour les plus grosses unités à plusieurs centaines de milliers d’euros, peu se lancent dans l’aventure du 12 tonnes de 10 mètres de long sans formation, tout simplement parce que trouver l’assureur qui va garantir un tel risque constitue une gageure.
À part avoir affolé beaucoup de personnes pour pas grand-chose, voici un buzz qui devrait très vite faire pschitt.